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Autoroutes de l’information et effets pervers

mardi 10 octobre 1995, par François Daniel Giezendanner

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«  Quand les hommes
vivront d’amour,
il n’y aura plus de misère
 »

 La masse critique au service d’un monde meilleur ?

Le 6 août 1945 au matin, l’avion militaire américain Enola Gay transporte à 8000 mètres au dessus du Japon la bombe de 4 tonnes créée par Robert Oppenheimer et les plus brillants savants de l’époque. A 8 heures et 16 minutes Little Boy explose sur Hiroshima à 570 mètres au-dessus d’un hôpital : la masse critique d’uranium avait été atteinte. L’équivalent de 15’000 tonnes de TNT obtenu par fission nucléaire déploie alors ses gigantesques, terrifiants et foudroyants effets dévastateurs : 140’000 personnes meurent et la ville est détruite à 92%. C’était il y a cinquante ans : un moment historique de la barbarie humaine. Albert Einstein déclarait alors laconiquement : « La bombe atomique a tout changé sauf la nature de l’homme ».

Le principe de la masse critique est présent dans de nombreux phénomènes : par exemple, Internet multimédia semble l’avoir atteinte, de par le nombre de ses utilisateurs. Son développement en devient ainsi explosif et incontrôlable. Le vin est tiré. Il sera bon, soyons en sûrs, mais il faudra en boire la coupe jusqu’à la lie.

Internet multimédia a envahi la planète. En adoptant un standard international, la norme MPEG, l’industrie de la vidéo a clairement viré vers le numérique interactif. Grâce aux réseaux numériques à haut débit, la communication totale devient un domaine à la portée de chacun, jouant sur presque tous les registres sensoriels et intellectuels. Les obstacles technologiques sont levés..., fin de l’histoire ? Il faut voir !

 Le monde d’Internet

Tout le monde en parle ou en fait l’apologie : Internet multimédia est mis à toutes les sauces. Ne pas être branché est devenu synonyme d’esprit dépassé, voire rétrograde. Bientôt tous le monde en sera. Partisans et opposants doivent se rendre à l’évidence : Internet multimédia est une invention extraordinaire devenant progressivement l’instrument de tous. En « médiamorphosant » de nombreux secteurs, il bouleverse les habitudes, transforme les mentalités et change les comportements.

Des populations entières feuillettent et communiquent dans cette galaxie numérique, y navigant à l’aide de l’« hypertexte », y trouvant presque tout comme dans un souk, luttant sans cesse pour éviter la noyade dans un tel volume d’informations. Il existe toutefois un outil simplifiant à l’extrême les démarches : World Wide Web (ou WWW, ou W3 ou Web), développé au CERN par un esprit créatif remarquable : Many thanks to Tim Berners Lee !

Nous devons aussi être reconnaissants envers la Société Netscape Communication (l’étoile montante des concepteurs de logiciels pour Internet pour l’aide apportée à la navigation dans le Web. C’est un inventeur génial de 24 ans : Marc Andreessen, qui, au sein de cette société, avec ses amis universitaires, créa Netscape Navigator, un logiciel permettant de surfer aisément sur la totalité du Web.

 L’homme et le multimédia

Artisan convaincu des nouvelles technologies de l’information et de la communication, je participe passionnément et intensément à cette grand-messe du multimédia dans le domaine éducatif. Cependant, il importe parfois de prendre du recul pour réfléchir aux implications socio-économiques de cette machine « exploratoire ». C’est l’occasion de révéler des aspects habituellement estompés et d’amorcer une autocritique tonifiante et créatrice. La pose de glissières sur les autoroutes de l’information n’est pas une atteinte à la liberté. C’est ce type de réflexion que je propose dans les lignes qui suivent.

Le meilleur multimédia est assurément l’Homme. Avec ses facultés sensori-motrices prodigieuses, il possède l’aptitude inégalable de s’auto-optimaliser selon les contraintes subies, les connaissances acquises et les objectifs fixés. C’est là un don pour chacun de nous. Et le rôle de l’enseignant consiste à en convaincre la jeunesse : notre avenir.

 L’évolution de l’homme

Malheureusement, l’homme sage n’est souvent pas digne de son nom. Au terme d’une évolution de quelques milliards d’années, la nature a fait apparaître l’« Homo sapiens ». Philosophiquement, la science ne prend pas en compte le surnaturel. La Nature n’a pu donner naissance qu’à « Homo », la sagesse (Sapientia) venant sans doute d’ailleurs. Cet « ailleurs » est dans l’« Homo » lui-même qui va, longuement, progressivement, compléter son humanité intrinsèque par un humanité construite. « L’Homo sapiens » n’est-il après tout qu’un « Homo erectus » ?

L’homme a mis des millions d’années pour se tenir debout, libérer la main et faire en sorte que le « silex » et le « cortex » produisent des étincelles, sa créativité n’a cessé de se développer alors que son abnégation, sa générosité et sa solidarité brillent par leur absence. Malgré le progrès culturel et matériel, l’homme est resté un loup pour l’homme. Ses découvertes scientifiques et ses réalisations technologiques sont impressionnantes. Toutefois, son comportement individuel et collectif ne force que rarement l’admiration et engendre souvent l’effroi, suivi de l’indifférence due à la satiété : le chômage et la misère augmentent, s’installant dans l’incompressibilité, les guerres sont légion, les massacres nombreux, les camps de réfugiés pullulent comme jamais. Depuis la nuit des temps ces manifestations ne donnent aucun signe de fléchissement, pire, elles prennent une dimension planétaire. Le soi-disant parapluie nucléaire et l’équilibre de la terreur ont montré leurs limites et n’ont rien fait pour éliminer les guerres classiques, si bien que l’ONU [1], empêtrée dans ses contradictions politico-économiques, donne quotidiennement le spectacle désolant de l’impuissance. Qui voudrait nous faire croire qu’Internet multimédia peut échapper aux faiblesses humaines ? « Machina sapiens » n’est pas pour demain, l’homme n’est pas mûr pour cela !

Ainsi, la sagesse n’est pas le propre de l’Homme et par conséquent tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, loin s’en faut. Cela s’observe dans toutes les activités humaines, et donc aussi dans le développement et l’exploitation d’Internet. En avoir conscience nous permettra de limiter les effets pervers de cette technologie en croissance explosive et partiellement anarchique, et lui donner la place qu’elle mérite dans le monde éducatif.

 Les rapports de l’homme et des machines

Certes, les technologies de l’information et de la communication progressent toujours plus rapidement. Elles atteindront bientôt chaque recoin de la planète avec une efficacité imparable. Elles participeront à la transformation de la société vers une civilisation plus cérébrale : elles seront à disposition de manière banalisée dans les activités professionnelles et les loisirs. Aujourd’hui, elles suscitent de grands espoirs, par exemple on s’attend à ce qu’elles contribuent à développer de nombreux secteurs industriels, créer de nouveaux marchés, dynamiser l’économie et améliorer le transfert des connaissances. Cependant, alors que nous misons sur ces technologies pour de multiples fins, nous devons constater que « plus on parle de communication et moins on communique », que la crise économique ne se résorbe pas et qu’un nombre croissant d’individus sont mis sur la touche. Il n’y a pas de fatalité technologique en ces domaines car ce sont les mentalités et les orientations politiques qui sont déterminantes : certains choix permettront d’éviter l’extension du chômage, voire même de le résorber alors que d’autres provoqueront d’importantes vagues de licenciement.

Pour participer pleinement à la grand-messe du multimédia, l’homme doit préserver son système sensori-moteur des agressions extérieures. Force est de constater aujourd’hui que ces nouvelles techniques sont mal utilisées par les jeunes. L’abus des Walkman et des hauts parleurs surpuissants détruit parfois de manière irréversible une partie de leurs facultés auditives. Le nez collé aux divers écrans cathodiques n’améliore pas le système visuel. Sans donner dans la sinistrose, les nouvelles techniques de l’information ne sont elles pas en train d’engendrer des générations de sourds et d’aveugles. Des dégâts significatifs sont déjà observés sur une large échelle.

Ainsi, en plus des développements technologiques, on doit penser les autoroutes de l’information en termes de société, d’économie, d’emploi, de santé, de culture, de liberté et d’épanouissement des personnes. Une réflexion et des actions doivent accompagner ces développements afin que ces technologies n’empruntent pas uniquement le chemin de la simple rigueur technique, de la rentabilité et parfois des gadgets. Il faut en améliorer la convivialité, si elles doivent jouer un rôle réellement utile et éventuellement s’y intégrer dans la société.

Internet est le lieu où se rassemblent toutes les informations : on y trouve de tout, dans tous les domaines, de l’Église à la mafia, en passant par les sectes, les groupes néonazis, l’armée, les terroristes, la culture, la science, la technologie, la finance, le commerce, la presse, la politique, les loisirs, etc. La banalisation de son emploi permettra au commerçant du coin de rédiger et coder ses pages d’offres dans WWW. Bref, le grand dévaloir universel ne fait pas encore l’objet d’une politique éditoriale. A terme, c’est probablement le nouveau support de publication scientifique, ce qui constitue une mutation révolution dans la manière de diffuser et discuter les découvertes.

 Internet : un Collaboratoire-Compétitoire interactif international

Internet est un formidable outil pour les recherches scientifiques, technologiques, éducatives, etc., avec la collaboration de nombreuses équipes dans le monde. Aujourd’hui, on dispose des moyens technologiques pour l’enseignement, l’apprentissage et le travail en collaboration. La mise en commun sur Internet des ressources et compétences de plusieurs laboratoires permet de constituer des super-laboratoires virtuels : les collaboratoires de l’avenir. La concurrence et la compétition s’y développent et s’organisent : le compétitoire prend forme. L’avenir nous dira si un équilibre s’établira entre collaboration et compétition. Il n’y a pas antinomie entre ces deux démarches, mais pour qu’elles puissent s’épauler l’une l’autre et décupler les effets positifs il faut en fixer et contrôler les règles.

En attendant, une foule croissante d’utilisateurs erre dans Internet, cet immense labyrinthe né de la révolution téléinformatique. Dans WWW, ils recherchent des interlocuteurs, des informations réelles ou hypothétiques, utilisant les possibilités de navigation pour l’apprentissage par association d’idées, mais aussi en risquant gains ou pertes de temps, donc d’argent. Victime de son succès, Internet doit faire face à un accroissement prodigieux de son trafic et les embouteillages s’y manifestent déjà.

Un nouveau type d’utilisateurs est ainsi né : les drogués d’Internet. A titre d’exemple humoristique, une étude de la Faculté de médecine de Harward est formelle : près de 25% des « accros » d’informatique ressentent, au contact de réseaux informatiques, une exaltation comparable aux effets de la cocaïne. Ces « Infomanes » (comme la loi américaine les a baptisés) se droguent à coups de réalité virtuelle et devraient être soignés toujours selon les auteurs de cette étude dans des cliniques spécialisées dans le traitement des personnalités obsessionnelles.

 L’utilisation de l’outil va-t-il changer la société

Idéalement, les autoroutes de l’information devraient contribuer à créer une société dotée d’une meilleure aptitude à la communication et favoriser les changements et mutations indispensables pour faire face aux nouveaux défis économiques et sociaux, soit, entre autre, exclusion, chômage, pauvreté, exploitation de l’homme et de la nature par l’homme.

Ces changements seront certes favorisés par l’État, mais la transformation profonde des mentalités et des valeurs conduira obligatoirement à repenser un contrat social, en prenant en compte l’évolution des technologies et en investissant prioritairement dans le capital humain. Les institutions éducatives influeront sur ces changements, suscitant une réflexion intra et extra-institutionnelle sur les méthodes d’apprentissage, de prise en main de ces technologies, et sur les redistributions devant s’opérer au sein de la société. En effet, le temps est passé où il suffisait d’apprendre un métier pour la vie. Aujourd’hui, chacun doit être prêt à changer de profession, parfois plusieurs fois au cours d’une vie, surtout si l’École forme une pléthore de gens de haut niveau qui, faute de places de travail, sont contraints au chômage au début de leur vie professionnelle. Par conséquent, l’Institution éducative et la société doivent préparer des individus aptes à l’auto-apprentissage et à l’adaptation. Les enseignants agiront encore mieux en s’ouvrant vers la cité, car c’est ainsi qu’ils assureront le transfert des connaissances et compétences. Les victimes du chômage doivent en bénéficier, ainsi ils actualiseront leurs connaissances, améliorant leur compétitivité. Ces technologies sont certes maintenant conçues pour dialoguer avec le meilleur des multimédias : l’Homme ; mais cela doit se faire tout en améliorant le sort de l’humanité et non pas en marginalisant une partie avec des considérations strictement et étroitement économiques.

 L’approche systémique

Le volume d’informations disponibles croît exponentiellement et l’apparition d’Internet amplifie cette croissance. C’est un problème de plus en plus préoccupant. Il devient urgent de se doter d’un nouvel outil permettant, d’une part, de connaître l’existence d’une information et d’autre part, de relier logiquement les informations entre elles. Il est essentiel de dépasser la simple accumulation encyclopédique des connaissances ainsi que les démarches cartésiennes découpant la complexité en éléments simples et procédant de manière disciplinaire, analytique, linéaire et séquentielle. Ce nouvel outil sera adapté à une description transdisciplinaire satisfaisante de la complexité, de la dynamique et de l’évolution de l’humanité, de ses connaissances, de sa planète, etc. Cet outil sera basé sur la systémique, elle-même issue de la théorie des systèmes et de la cybernétique, permettant de recombiner le tout depuis ses éléments tout en tenant compte de leur interdépendance et de leur évolution dans le temps.

Pourtant, la systémique ne parvient pas à se faire une place dans notre système éducatif. Sa démarche non cartésienne dérange et inquiète, elle apparaît subversive. En effet, elle exige de réviser radicalement les processus d’apprentissage et d’acquisition des connaissances. Complémentaire à la démarche analytique, elle privilégie l’interdépendance à l’isolement, l’intégration à l’exclusion et nécessite un effort essentiel vers la synthèse des connaissances et des processus : le tout est plus que la somme des parties. Ironie du sort ou signe du destin, ces démarches font appel à l’outil informatique pour la simulation des situations complexes.

L’approche systémique s’appliquera à tous les ensembles naturels ou artificiels d’éléments en interactions dynamiques dans un réseau complexe de feed-back (boucles de rétroactions et proactions tant positives que négatives), organisés et animés en fonction des contraintes et des objectifs fixés. Ainsi la systémique s’applique aux phénomènes naturels, aux grandes fonctions de la vie, des sociétés d’individus, de l’écosystème, des réseaux de transport, de télécommunication, de régulation, etc. La compréhension de l’évolution d’Internet Multimédia et son impact sur l’humanité relèvera obligatoirement d’une approche systémique.

 L’organisation du chaos : les apprentis sorciers face aux systèmes complexes

Depuis la nuit des temps, la nature inverse et croise des boucles de feed-back, menant soit à une croissance, soit à une baisse de rendement de ses systèmes. Cela participe au jeu des régulations et des sélections auquel elle finit toujours par gagner. Toutefois Dame Nature dispose d’un temps considérable pour obtenir des résultats satisfaisants : cela s’exprime en millions d’années. Pour les hommes, ce délai est pour le moins réduit, mais cela n’empêche pas nombre d’entre eux de procéder dans tous les domaines à des croisements hasardeux de boucles dans les systèmes complexes qu’il ne comprennent que très partiellement. Malheureusement, ces apprentis sorciers animés d’intentions diverses sont investis de pouvoirs considérables et ont l’esprit outrageusement simplificateur, ils ne sont pas tous brillants et ont souvent atteint leur niveau d’incompétence : l’état de la planète et quatre cinquièmes de l’humanité dans une misère profonde peuvent en témoigner. Par qui Internet multimédia sera-t-il contrôlé ? C’est là une question hautement préoccupante.

Dans une société démocratique, l’utilisation des outils intégrant démarches systémique et analytique par la majorité des citoyens conduira à la compréhension et à la gestion rationnelle, juste et humaine de notre planète. Cela nécessitera un changement de mentalité et, par conséquent, le système éducatif doit s’engager sans délai dans cette voie.

 Le monde actuel

L’humanité comptait un milliard d’individus au siècle passé, elle en compte 5,5 milliards aujourd’hui, et selon les prévisions démographiques, il y aura entre 8 et 12 milliards de terriens en 2030. La croissance démographique se poursuit, c’est un problème majeur qui n’est pas prêt d’être réglé. Aujourd’hui, les 5,5 milliards d’individus qui peuplent la planète sont répartis en une mosaïque de 6 milles cultures distinctes. Un milliard d’hommes sont analphabètes, ils ne disposent ni d’eau potable, ni d’électricité, il sont en état de malnutrition chronique et plusieurs centaines de milliers d’entre eux subissent de graves retards de croissance, voire la mort prématurée. Trois milliards et demi d’individus vivent juste « à l’équilibre » et un milliard d’hommes sont « riches ». Ces derniers consomment 80 % de la production mondiale de la planète.

Dans les dix prochaines années, 800 millions de personnes arriveront sur le marché du travail mondial alors que l’occident n’a pas retrouvé le plein emploi depuis la crise pétrolière de 1973-1974 et que le chômage frappe l’Europe comme jamais depuis le krach de 1929. Le monde traverse un marasme de durée indéterminée dû à des causes multifactorielles non maîtrisées : officiellement 450 millions de personnes sont à la recherche d’un emploi et environ 200 millions d’enfants travaillent. Même en Suisse jusqu’ici épargnée, le taux de chômage augmente régulièrement. Les pays du Sud-Est Asiatique présentent une concurrence quasi imparable, grâce à un « dumping social ». Leur population ne jouit pas d’un niveau de vie décent et la majeure partie de la planète travaille dans des conditions proches de celles que connaissaient nos arrières-grands parents. Dans les pays industriels, la robotique et l’informatique augmentent la productivité au détriment de l’homme. Les analyses socio-économiques et les mesures politiques adéquates sont en retard sur cette évolution.

Face à cette réalité, l’Europe de 1995 doit assumer un taux croissant, de plusieurs dizaines de millions de chômeurs. Même la Suisse n’échappe plus à ce fléau. Ce taux pourrait encore s’accroître si l’exploitation des pays pauvres est jugulée. Parallèlement, en cette période de crise, la capacité d’action et de prise de risque des cadres s’amenuise, et par une sorte de réflexe d’autocensure, fait place à des attitudes extrêmement prudentes, frileuses, voire timorées, jusque dans les actes les plus quotidiens. L’époque actuelle n’est propice ni à l’ouverture, ni à la générosité, ni à la créativité, ni à l’innovation. Or, la lutte contre le chômage et l’exclusion doit s’organiser sur la base de nouvelles démarches permettant à chacun l’acquisition de nouvelles connaissances et une redistribution des rôles. Cela implique un réel esprit d’ouverture et d’initiative, et un engagement personnel de la part de ceux qui détiennent les connaissances, les savoirs et les « savoir-faires » dans des actions créatrices et novatrices impliquant le transfert des connaissances. Ces actions novatrices n’apparaissent encore dans aucun texte et provoquent infailliblement des réactions d’irritation ou d’intolérance, de la part des adeptes de ce monument inébranlable nommé « conformisme ambiant ».

 Une société divisée

Il faut se rendre à l’évidence, nos sociétés dites évoluées présentent un contraste frappant entre le stade scientifique et technologique très avancé auquel elles sont parvenues, et les inégalités criantes qui les habitent résultants d’un profond sous-développement dans le domaine de la solidarité humaine. Ces sociétés se bipolarisent, d’un côté ceux qui s’adaptent, l’oligarchie du savoir, la technocratie et les responsables politiques qui ont de nouvelles capacités grâce aux progrès scientifiques et technologiques ; de l’autre côté ceux qui ne s’adaptent pas : marginalisés, ghettorisés, cachés, éliminés. Le cercle vicieux est enclenché, nos sociétés mettent en place des structures de plus en plus fortes pour assurer la sécurité dont elles ont besoin et dans le même temps elles engendrent l’insécurité. Rappelons nous que la démocratie est le bien le plus précieux de toute société humaine, malheureusement, il n’est jamais définitivement acquis et c’est aux citoyens qu’il incombe de veiller à son maintien en luttant contre les inégalités et le malheur des hommes.

Ne participons pas naïvement au grand bluff technologique et disons clairement que la révolution télé-informatique n’est pas une panacée capable de résoudre les problèmes de l’humanité, même si les futurologues nous parlent de village global, de cerveau planétaire et de démocratie informatique participative pour hommes symbiotiques. Ne cédons pas au mythe d’une science et d’une technologie miraculeuses qui détiendraient la clé du bonheur et rappelons nous que tout progrès technique se paye, les effets néfastes sont inséparables des effets favorables.

Notre société fabrique essentiellement des égoïstes axés sur la récompense individuelle et la compétition. L’homme cherche à satisfaire des besoins, des plaisirs et des honneurs personnels sans appréhender les conséquences pour son environnement. Il ne faut pas chercher la solution aux problèmes de l’humanité dans les progrès scientifiques et les « prothèses » technologiques, mais dans la transformation de l’homme lui-même, qui doit réfréner son individualisme, fonder sa réussite sur de nouvelles valeurs et participer pleinement à des projets collectifs pour le bien de tous, bref, vivre en symbiose parmi ses contemporains dans son environnement planétaire.

 Une société à deux vitesses confrontée aux problèmes de l’exclusion, du chômage et de la misère

Relevons qu’aujourd’hui les autoroutes de l’information tissent une toile de plus en plus dense sur toute la planète. Elles s’accélèrent afin de digérer les énormes débits d’information exigés par la télévision interactive en temps réel, mais aussi pour servir sans frontière la population mondiale. Une société à deux vitesses se crée, qui cherche à produire plus avec moins d’emploi grâce à de nouvelles technologies, entre autres, celles de l’information et de la communication. Sur une voie, la rapide, dont le débit augmente, ceux qui ont conservé leur emploi, s’essoufflent par trop de travail et de responsabilité, craignent de perdre leur job et se rassurent en se donnant bonne conscience à peu de frais en s’imaginant par exemple que les chômeurs sont responsables de leur état. Sur l’autre voie, la lente, dont le débit diminue, ceux qui n’ont plus de travail ou n’en ont jamais eu, n’ont donc rien et ne sont plus rien, puisqu’on est en grande partie ce que l’on fait. Chacun doit prendre conscience qu’il est vital de résorber cette voie lente, sinon les oubliés de la pseudo-prospérité n’auront plus rien à perdre, et l’on glissera inexorablement vers un modèle propre à des villes si tristement célèbres qu’il faut impérativement éviter certains quartiers où l’on risque sa vie.

Actuellement la réflexion politique sur les biens et fins de la société est occultée au profit de la seule efficacité, par conséquent la politique est asservie à l’économie. Alors que le travail devrait être considéré comme un premier bien accessible à tous, le nombre des exclus augmente et on assiste aujourd’hui à une remise en question de nos sociétés fondées sur le travail. Nombreux sont ceux qui considèrent que la place occupée par le travail dans la société n’est pas socialement souhaitable au regard des circonstances actuelles. La réflexion sur la notion même de travail doit donc aussi être poursuivie aux plans philosophique, théorique et de l’ingénierie sociale et économique. Les recherches en ces domaines sont essentielles pour ouvrir des pistes nouvelles permettant l’élaboration de réponses valables à la crise actuelle.

 Le chômage : un problème lancinant

Les sondages l’ont montré, le chômage est devenu la première préoccupation pour 75% des Suisses. Comme le chômage est l’affaire de tous, il est du devoir de chacun d’aider ceux qui en souffrent et soutenir les actions créatrices destinées à l’enrayer. Notre société évoluée, riche sur les plans intellectuel, culturel et matériel doit être plus qu’une cité des gadgets dotée d’un grand cimetière comme projet commun. Le matérialisme doit laisser une place au spirituel, zone de notre conscience individuelle et collective où le mot religion doit être compris dans son sens profond : les valeurs qui relient les gens entre eux. Il faut revenir à la notion d’Humanité : l’individualisme à tout prix doit être contrebalancé par une inclination à s’engager en faveur de la collectivité, les intérêts personnels doivent céder la place à des engagements généreux, le double langage et les décisions en coulisse doivent faire place à des démarches démocratiques et déontologiques dignes de ces noms.

Pour cela, Homo doit abandonner les règles et comportements dictés par la sélection naturelle, prendre pleinement conscience que la nature ne lui accorde qu’un petit siècle d’existence pour démontrer sa dimension humaine, pour mieux utiliser son néocortex au service d’une réflexion honnête et profonde, pour se remettre en question et amorcer un changement réel, ceci afin d’évoluer d’Erectus vers Sapiens. Ce vaste programme est-il à la portée d’Homo ? Toute la question est là !

La crise actuelle est sérieuse, le chômage sévit partout, les quatre cinquièmes de la planète sont pauvres et la nature est gravement malade. L’homme continue de gérer la planète à la manière des hommes de Cro-Magnon : la compétition guerrière, l’égocentrisme et la boulimie. Pour en sortir, il ne suffira pas de bricoler des accommodements qui ne nous empêcheront pas de retomber dans l’ornière, mais il faut changer fondamentalement, s’ouvrir vers une nouvelle conscience, afin que les changements individuels soient liés à des engagements sociaux, quelles que soient les croyances et les philosophies. Les hommes de bonne volonté doivent comprendre qu’il est insuffisant de bien gérer l’acquis, les gains en seront dérisoire. Il est impératif de changer d’attitude en favorisant, encourageant et soutenant les esprits créatifs et innovateurs, car ils sont les seuls capables d’apporter des solutions valables à la crise.

 Un remède : Internet ?

En attendant, l’homme poursuit frénétiquement le développement d’Internet multimédia à l’échelle planétaire, ce nouveau jouet qui, à l’instar de la technologie nucléaire, ne manquera pas d’être utilisé au service de toutes les causes et de toutes les ambitions.

Avec Internet, informatisation et automation vont se développer sur une grande échelle, des emplois vont disparaître, d’autres vont naître mais nul ne peut aujourd’hui prédire ce qui se passera réellement. Une chose est sûre, nos sociétés civilisées ne doivent exclure quiconque de la vie active, le droit à une activité rémunérée est une condition nécessaire à la dignité et à la liberté. Les autoroutes de l’information seront ce que l’homme en fera, la pire ou la meilleure des choses, à lui de choisir. Favoriser l’esprit de collaboration ou pousser la compétition à outrance, quelles qu’en soient les conséquences sur l’individu et la société. L’outil Internet est hyper-puissant, les enjeux gigantesques et l’homme est loin d’en prendre la mesure. Les gains et les pertes seront à la même échelle : de grande envergure. A l’homme de jouer, il tient les cartes. Saura-t-il en faire le meilleur usage ?

 Conclusion

En conclusion, le chômage, l’exclusion et la misère ne sont pas des maux inévitables et les nouvelles technologies de l’information peuvent contribuer à les résorber si chacun d’entre nous change d’état d’esprit pour laisser la voie ouverte à l’adoption d’actions nouvelles, créatives, généreuses et moins empreintes d’égoïsme. Certaines préoccupations intéressantes mais moins prioritaires peuvent être renvoyées à des temps plus favorables. Les impératifs de la conjoncture internationale actuelle et l’évolution rapide des technologies exigent de chacun d’entre nous un engagement plus marqué au service des besoins urgents de notre société. Faisons en sorte que la solidarité et l’ouverture ne soient pas de vains mots mais des réalités opérationnelles au sein des communautés nationales et internationales. Des autoroutes de l’information bien conçues et bien utilisées sur les plans nationaux et internationaux pourraient permettre de créer de nouveaux marchés, dynamiser l’économie et développer des projets d’intégration et d’innovation professionnelles, fortement pourvoyeurs d’emplois.

 Source

Cet article de François Daniel Giezendanner a été publié en 1995 dans :

  • Autoroutes de l’information et effets pervers, pages 17 à 27 de :
    Systèmes de formation et nouvelles technologies
    Document de la sous-commission R&D de la commission EAO du DIP
    Genève : Centre informatique pédagogique (CIP), Octobre 1995. 138 p

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Nuage de mots-clés réalisé avec KGen, le générateur de mots clés


[1ONU : L’organisation des Nations-Unies (ONU) fête cette année ses 50 ans d’existence. Sa charte fut adoptée en juin 1945 et sa conception est antérieure au drame d’Hiroshima et Nagasaki, elle ne tenait aucun compte des paramètres de l’ère nucléaire.